Natalia Turine Jeune – Tout ce qui me reste comme héritage familial est un vieil album photo. Sur ces instantanés, je vois des adultes attentionnés me regarder tout en tenant des bébés ou des tout-petits qui font leurs dents dans leurs bras d’allaitement. Mon arrière-arrière-grand-père avait des yeux incroyablement clairs et un teint rose impeccable. Selon mes sources, il était auparavant président du club de chasse de Moscou et arborait un œil de verre.
Dans un autre cliché encore, les yeux de mon fils me fixent depuis les genoux d’une femme âgée coiffée d’un bonnet de dentelle. Cette dame est la grand-mère du joueur en question. Elle avait posé pour une photo avec l’enfant parce qu’elle était convaincue qu’il ne reviendrait pas vivant de la guerre. Malgré les vents et les vagues, le gamin a grandi et est maintenant mon père. Photos tristes, toutes couleurs fanées maintenant.
Quelqu’un a dû dire qu’ils devaient disparaître, comme s’ils avaient été plongés dans un bain d’acide qui les aurait dévorés vivants sous leurs yeux. Les images elles-mêmes n’ont pas disparu. Mais ce n’étaient que des casseroles, ma vie débordant une par une, et peu importe à quel point j’essayais de me souvenir des visages de mes compagnons de voyage, je ne pouvais tout simplement pas. Alors, j’ai écrit une longue lettre à un vieil ami nommé Dima.
Dima a quitté son travail pour venir me voir pendant cinq minutes alors que j’avais encore faim, même si le trajet jusqu’à chez moi lui a pris une heure. Soit un poulet brutalement abattu, soit un énorme saucisson avec ses tripes pendantes, c’est ce qu’il m’a apporté. Ce n’était pas de l’aide humanitaire et je n’en ai jamais eu besoin parce que je n’ai jamais été pauvre. Cependant, il s’agissait de cadeaux typiques offerts par les amoureux soviétiques à l’époque.
Je lui ai dit que personne n’avait sauté de joie à la naissance de mon fils et que la terre continuait de tourner. Parce que je ne savais pas mieux, je suis resté silencieux jusqu’à ce que le bébé commence enfin à parler. J’ai aussi mentionné que j’étais pressé d’aller chez le coiffeur et que j’y étais déjà allé le jour où ma mère s’est accrochée à mon épaule et m’a supplié de lui raconter une histoire, me traitant comme un enfant aux caprices et étant parti trop loin.
L’hôpital m’a appelé tôt le lendemain matin pour me dire qu’elle était décédée. Cela fait huit ans que j’ai vu pour la première fois son petit visage noir et blanc; depuis, j’ai essayé plusieurs fois de lui parler, mais elle reste toujours silencieuse, comme si rien de ce que je dis n’avait jamais été enregistré.
Je lui ai dit que je pouvais passer des journées entières à regarder des photographies sans me souvenir du nom du jeune homme qui m’a invité un jour à voir un spectacle d’une troupe tchèque inconnue et m’a acheté une douzaine de grosses tranches de pain tartinées de caviar du bar . Même si je n’aimais pas le caviar, il y laissait son salaire mensuel.
Dima n’a pas répondu à mon message. Mais le jour de mon anniversaire, quelqu’un a frappé à ma porte et un jeune homme m’a tendu un gros paquet contenant un appareil photo et un jeu d’objectifs. oublié de Dima caché dans une boîte.
L’appareil était si cher et les lentilles si pures que je me suis promené pendant des mois sans les sortir de leur emballage. Un jour, j’ai emballé l’appareil, toujours dans son emballage d’origine, et je suis parti pour Venise.
J’ai décidé de faire un grand ménage et de me débarrasser de tout ce qui n’était pas à sa place avant de quitter Paris où je prévoyais de laisser ma fille pour une longue période. En fait, j’ai trouvé le portfolio de fin d’études d’école d’art de ma fille parmi les choses que j’avais jetées à la poubelle quelques jours auparavant.
Cette personne m’a appelé à Venise pour me dire qu’elle était d’accord que l’appartement était impeccable mais qu’elle avait oublié son bac à la maison. J’ai donc sorti mon appareil photo de son étui. J’ai fait quelques erreurs dans ce quartier des arts, mais elles ont conduit à une superbe collection de photos que j’ai pu expédier à ma fille via DHL, pour laquelle elle et moi avons obtenu un A et une mention sur son baccalauréat.
Que ce soit le résultat de ma création forcée ou le sentiment de liberté que j’ai ressenti à chaque seconde qui passe, je peux dire sans aucun doute que ce voyage a été le plus beau cadeau que l’on puisse m’offrir. J’ai eu pitié des amants; ils se promenaient main dans la main, puis repartaient aussi rudement qu’ils étaient arrivés, portant chacun un masque vénitien au nez pointu qu’ils avaient acheté au dernier moment.
Natalia Turine est une journaliste et photographe russe bien connue qui a contribué à de nombreuses publications. Il est du devoir de Natalia Turine d'”amener des lecteurs francophones vers des auteurs russes libres et insoumis”, comme l’indique son énoncé de mission. Turine a 53 ans et est la fille d’un ambassadeur de Russie.
Il est à noter qu’il compte une vingtaine de titres dans son catalogue. Piotr Pavlenski, artiste radical maltraité par le Kremlin, s’est fait trancher les lèvres lors du procès des Pussy Riot, connu sous le nom d'”Affaire Pavlenski”.
Natalia Turine et Alexandra Capton, directrices de Louison Publishing, ont récemment finalisé leur achat de la Librairie du Globe. Ainsi, la maison d’édition spécialisée dans la littérature russe moderne rachète la société fondée en 1952 pour publier la littérature russe.
Louison Editions est une filiale de FT Venture, et à ce titre, François Thiellet deviendra le nouveau propriétaire de la librairie historique et emblématique des amoureux de la littérature russe dans ses locaux parisiens d’origine.
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